Reportage 

13ème BIENNALE DE LA DANSE DE LYON 


Pour sa 13ème édition, la Biennale de la Danse de Lyon offre une place au flamenco par la présence de Rafaela Carrasco et de sa compagnie avec leur spectacle Del amor y otras cosas. En écho à la Biennale, l'Orchestre National de Lyon a aussi décidé de mettre les danses espagnoles à l'honneur lors de son concert d'ouverture de saison. Se sont donc présentés avec la formation symphonique la danseuse andalouse Úrsula López et l'Aragonais Miguel Ángel Berna. C'est par conséquent l'oeil et l'oreille tendus vers les notes et mouvements hispaniques que j'ai profité de ces quelques jours à Lyon.

La Biennale de la Danse, qui fête ses 13 ans, se veut, selon les dires de son créateur et directeur artistique, Guy Darmet, l'équivalent pour la danse du festival d'Avignon. Sans en être tout à fait là, c'est bien un rendez-vous de choix pour les passionnés de cet art. L'accent est mis sur la création contemporaine avec une ouverture marquée vers les cultures du monde et pratiques transversales (incluant du cirque, de la performance...). Le choix du spectacle de flamenco de la programmation officielle est lui aussi largement teinté de contemporain et de diversité (musicale notamment).

C'est donc le vendredi 26 septembre à 17h, quelques heures avant la première que je me rends à la Croix Rousse à la Scène Nationale de Lyon pour la générale du spectacle Del amor y otras cosas. La compagnie de Rafaela Carrasco fraîchement arrivée répète et prend ses marques, tout comme les régisseurs son et lumière. La séance photo, pour moi et une dizaine d'autres appareils rivés vers la scène, se fera donc sans les costumes. Il n'empêche que la tenue de travail ne nuit en rien à l'harmonie du spectacle, ni à la grâce des danseurs.

En sortant de cette séance de crépitements une petite promenade fait prendre la mesure de l'aspect festif de la biennale: outre le célèbre défilé (il y a quelques jours), un bal Caribe y salsa se prépare. Et les jeudis-vendredis et samedis, place des Terreaux (la place de la mairie, pour ceux qui ne connaissent pas Lyon) des cours de danses latines sont offerts aux passants : sono à fond, comptage, et démonstrations devant les locaux de la Biennale. "Eh, vous connaissez la différence entre une rumba cubaine et une rumba française ?" Cette chaleur Latine est toute décalée dans ce contexte, mais le sourire vient à tous. Le professeur sur le podium se raidit et danse de manière cassée presque robotique après sa démonstration toute pliée et souple "la rumba à la française c'est ça"! Je pense que ça aurait pu être aussi de la rumba flamenca débutant 1 !

Le soir arrivée à l'auditorium de Lyon, bâtiment du milieu des années 70 un peu perdu en périphérie de la Part-Dieu (Gare TGV et centre commercial). À 19h30 présentation de l'ouverture de saison dans un espace du Hall. C'est apparemment une heureuse habitude chez eux de présenter le programme qui suivra, expliquant ainsi le contexte et les choix, en bordure de cafét' avec bruits de couverts et effluves de restauration...

L'orchestre et son directeur musical ont choisi de mettre à l'honneur l'Espagne. Les Espagne en fait : la complexité culturelle du pays réel et l'Espagne rêvée par les compositeurs Romantiques et ceux qui les suivent.

En cette fin de 19ème siècle l'Europe musicale vit sous l'imposante influence de l'Allemagne et de Wagner. Difficile de dépasser le modèle, les jeunes compositeurs (comme les écrivains d'ailleurs) tourneront donc le dos au Rhin et porteront leur regard vers le plus lointain, le plus oriental (par sa culture mozarabe), le plus exotique pays de l'Europe. Ils fuiront par là même un certain sérieux, une certaine lourdeur pour se laisser aller au bonheur populaire du chant et de la danse.

L'Espagne comme destination artistique incontournable sera donc portée par, tout d'abord les français : Paris centre culturel voit passer divers espagnols et reçoit en première récits de voyages et transcriptions de chants populaires. Les compositeurs puisent dans cette manne pour se distinguer, s'emparent de l'Espagne de la fête comme celle de la tragédie... Bizet rêve l'Espagne avec des livres et des amis espagnols, alors que Chabrier y voyage et retranscrit les musiques rencontrées lors de son périple. Il tient un journal et une correspondance où il écrit "je ne connais pas de pays où la musique nationale soit aussi variée de rythmes – c'est merveilleux." C'est à leur suite que Falla prend conscience de la valeur de sa culture et travaille à en enrichir le vocabulaire.

L'orchestre, dirigé par Jun Märkl, invite pour ce programme, outre les danseurs, la violoniste japonaise Akiko Suwanai. Tout du long on déplorera, comme toujours dans les concerts classiques, un protocole lourd, avec entrée de l'orchestre, applaudie, entrée du chef, applaudie, sortie et entrée applaudies du chef et des solistes entre chaque morceau. Au delà du ridicule pour qui n'est pas habitué, cet enthousiasme formel me paraît nier l'emportement réel et, coupant la concentration, fait perdre sa cohérence au programme.

Celui-ci débute par des extraits de Carmen de Bizet en version pour orchestre. La direction est souple, pas flamenquisée du tout. Le choix festif de la soirée pousse à faire des effets de lumière sur l'orchestre et le mur acoustique de fond de scène.

Puis Vient le duo dansé de Úsula López et Miguel Ángel Berna sur España de Chabrier. Comme dans cette célèbre partition dont le compositeur dit lui même qu'on y trouve "les refrains vigoureux de la Jota, combinés avec les phrases libres et rêveuses de malagueñas. Ces deux essences musicales des Espagne du Sud et du Nord y sont mêlées et superposées selon la fantaisie de la polyrythmie", le duo accorde les talons flamencos aux chaussons de la danse Aragonaise. La danse est très enlevée, sautillante, tourbillonnante (à l'image de ce qu'aime à nous offrir Miguel-Angel Berna), c'est souple et lumineux. Et passe comme une virevolte.

Suit l'adaptation de Carmen par Pablo de Sarasate, Carmen fantaisie et quelques emprunts à l'adaptation de Franz Waxman, qui est un véritable morceau de bravoure pour violon et orchestre auquel se prête, presque sagement, Akiko Suwanai.. Elle jouera avec une apparente facilité sur toute la palette qu'offre son très beau (au son !) Stradivarius. Le tout maintient une harmonie délicate tout du long. Trop peut être à mon goût, lui, plus fantaisie plus gitan que lyrique.

Des extrait de la suite pour Orchestre du Tricorne de De Falla me réjouiront: j'y sens de l'amusement et j'apprécierai de me laisser surprendre par la variété des sons et puissances de l'orchestre du solo au tutti.

Là vient le solo de Miguel Ángel Berna, dans la seule musique de ses virtuoses castagnettes. L'intervention est vive, fière et enlevée.

Suit sur la danse rituelle du feu de l'amour sorcier de De Falla le solo d'Úsula López. L'intégration du Flamenco est très convaincante et le zapateado et les pitos m'ont paru enrichir le vocabulaire musical. Les parties plus classique espagnol reviennent à des choses plus formelles qui m'ont moins touchée.

Un court entracte et c'est au seul plaisir de la musique que se passe cette deuxième partie de concert : Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov, orchestre au son joyeux, sur le vrombissement de 7 contrebasses et qui reste très russe malgré les "castagnettes" d'orchestre que le percussionniste manipule en appuyant dessus : ça parait parfaitement surréaliste pour les habitués que nous sommes aux castagnettes à mains telles que celles que Berna a utilisées dans son excellente intervention juste avant !

Tzigane de Ravel (pas très espagnol!) est un autre morceau de bravoure pour la soliste japonaise. Enfin du même Ravel, le fameux Bolero et son presque rien emplissant peu à peu l'espace jusqu'à la saturation décrit justement le livret, une avancée implacable. L'effet est aussi absurde qu'enthousiasmant. Soulignons aussi le clin d'oeil de Ravel, qui, en bon amateur de folklore espagnol, veut jouer de son orchestre comme d'une guitare flamenca, avec toute la gamme de la musicalité des cordes plus les pizzicatis, les percussions sur le corps... Les violonistes en viennent à prendre le violon comme une guitare.

Le bis est la très dansante Farandole de Bizet.

En conclusion me viennent quelques questions sur ce mélange de genre symphonique et danses traditionnelles : ont-ils vraiment eu le temps de préparer ce collage technique et culturel ? De travailler dans l'écoute et la découverte mutuelle ? Comment faire pour que le danseur ne soit pas qu'une virgule qui ponctue la masse orchestrale elle même très prégnante scéniquement ? Je ne sais pas, mais saluons Úsula López et Miguel Ángel Berna d'avoir relevé le défi.

Le samedi j'ai le plaisir d'assister au spectacle Del amor y otras cosas de la compagnie Rafaela Carrasco, dont la séance photo de la veille n'a été qu'une alléchante mise en bouche. Si l'on peut déplorer le trop succint programme (ne figuraient même pas les noms des musiciens et chanteurs !), le spectacle, lui, est tout à fait réussi.

Je ne présenterai pas la très belle danseuse et chorégraphe Rafaela Carrasco, lisez plutôt son interview ici

Pour ce spectacle elle s'entoure d'un autre fabuleux danseur, Daniel Doña, et de très bons musiciens et chanteurs.

Elle nous propose dans Del amor y otras cosas une vraie histoire, une histoire d'amour, bien sûr, une histoire d'approche, de séduction, une histoire sensuelle, immédiate et passionnelle. Une histoire qui se dégrade et enfin le détachement douloureux et l'acceptation. Le tout se raconte par la danse...et par les costumes.

Le spectacle commence, elle seule robe beige nu, voix de chanteur nue aussi, dans un rond de lumière intermittent. La rencontre suit, et amène une danse souriante, comme rarement en flamenco. C'est un bonheur !

Lui revêt un hybride manteau bata de cola qui devient prétexte, à mon sens, à un jeu de territoires assez ludique et pourtant amorçant déjà la difficulté du couple. La musique (enregistrée) est alors de type répétitive.

Durant le début du spectacle j'entendai un spectateur remarquer que ça pouvait être osé. Pourtant pas un geste déplacé, pas de nudité, pas de crudité. Mais Une évocation forte et juste, intime, croit-on, vraiment. Il y a bien du risque à tisser ainsi l'expression du flamenco avec l'émotion du contemporain.

Reprenons. Suit un duo où les voix des chanteurs se mêlent à merveille. Une pure beauté. Puis autre duo, mais de danseurs, lui aux castagnettes elle au zapateado tout aussi enthousiasmant. Un beau solo de Daniel Doña sur la guitare qui annonce la scène la plus visuelle requérant un costume d'un sublime velours rouge, double veste reliée par un cordon, moins ombilical, que prolongement de la "bata de cola" du début, mais étendu aux deux. Il s'agit d'un travail plus expressionniste sur les forces et les liens entre les deux personnages. Un accompagnement musical piano violoncelle flûte ajoute un frisson tragique à la séparation finale. La musique devient plus dissonnante.

Un solo de Rafaela Carrasco clos (presque) le spectacle, avec une robe de papier blanc manuscrit comme des lettres qu'elle déchire. On croirait une référence à la mort du cygne dans le célèbre ballet à tutus blancs de Tchaïkovski. Le volume que prend le vêtement au fur et à mesure lui fait un négatif du manteau qu'elle portait au départ.

Le spectacle se termine presque comme il avait commencé : dans un cercle de lumière, mais l'expression parait plus forte. Sans aucun doute, entre les deux, il s'est passé quelque chose !


Remerciements à La Biennale de la Danse de Lyon, la Mairie de Lyon et à Arte y Movimiento.

TEXTE PROTEGE NE POUVANT ETRE DIFFUSE NI EN INTEGRALITE NI EN PARTIE SANS DEMANDE D'AUTORISATION EFFECTUEE AU PREALABLE AU SITE WWW.FLAMENCO-CULTURE.COM.

flamenco-culture.com - Candice Moïse - Le 09/10/2008