L'interview de la semaine 


Jean-Baptiste Marino : la corde sensible du flamenco français


Le guitariste JEAN-BAPTISTE MARINO accompagne régulièrement les cours du maestro GABRIEL DA ROCHA. En ce moment, il participe de façon magistrale à l'accompagnement du 15ème stage de baile de la grande maestra "LA CHINA" à Paris.

Bonjour Jean-Baptiste. Beaucoup pensent que tu es d'origine espagnole, tu es bien méditerranéen mais tu es originaire de Sicile :

Comment t'es venue ta passion pour le flamenco ?

C'est dû je pense à la liberté qu'il y a dans le flamenco, la force et la sensibilité qui s'en dégage.

Tu es un grand artiste et pourtant tu restes toujours très humble, modeste et accessible, tu aides même les élèves en faisant les palmas pendant les cours lorsque tu n'es pas en train de jouer, est-ce celà pour toi "l'esprit flamenco" ?

C'est une démarche que chacun doit avoir. Le flamenco, si tu gardes tout pour toi, ça ne sert à rien, c'est une musique qui communique à tous les niveaux. c'est une tradition orale, et moi on me l'a appris de cette façon là il faut donc le retransmettre de la même façon. Les choses que tu as comprises, il faut les donner aux autres, ce ne sont pas des choses que tu gardes pour toi. Donc voilà, l'humilité ça va avec. Après, si tu dois jouer en concert ou dans un groupe, il faut t'imposer.

Comment et avec quels maestros as-tu appris la guitare flamenca ?

J'ai commencé avec la guitare classique vers 10-11 ans, je suis allé au conservatoire jusqu'à 17-18 ans, j'ai fait le cursus normal. Et puis j'avais un cousin qui jouait de la guitare aussi et qui lui jouait du flamenco et en écoutait.
Je suis parti à Madrid assez jeune, vers 18 ans. J'ai appris avec des gitans, des espagnols, pas forcément avec des gens connus, j'ai rencontré des gens dans la rue, et on m'a montré des choses, il n'y avait pas de partition ni rien. Ensuite c'est vrai qu'au cours du temps, tu analyses plus, en écoutant les disques, en déchiffrant, en écoutant la guitare... En ce qui concerne les maestros, en France, à Paris, j'ai rencontré quelqu'un qui s'appelle "EL CHINO", qui m'a donné quelques plans, et aussi MIGUEL LINARES, HIERBITA...qui étaient des gens qui travaillaient à Paris.
Ensuite je suis resté un moment avec JUAN MANUEL CAÑIZARES.

As-tu eu ou as-tu encore un modèle ?

J'en ai plein...PACO DE LUCIA comme tout le monde bien sur...sinon les anciens comme SABICAS, ou d'autres personnes moins connues qui ont travaillé dans l'accompagnement de la danse, comme JUAN MAYA MAROTE, PACO DE ANTEQUERA.. Et dans les modernes TOMATITO, CHICUELO, le fils de MORAITO, qui s'apelle DIEGO DEL MORAO, CAÑIZARES...

Selon toi, pourquoi n'y a-t-il pas ou peu de femmes qui jouent de la guitare flamenca ?

J'ai découvert qu'à la fin du 19ème siècle il y en avait plein. Par exemple à CASA PATAS (ndlr : célèbre tablao de Madrid) il y a des photos de femmes qui jouent de la guitare. Sinon j'en connais une à Madrid qui s'appelle Antonia et qui joue très bien, mais c'est vrai que ça demande beaucoup de force. Mais je ne peux pas vraiment dire pourquoi il n'y a pas beaucoup de tocaoras.

Que conseillerais-tu aux débutants qui veulent se lancer dans l'apprentissage de la guitare flamenca ?

Il faut avoir un bon maître, il faut que ce soit quelqu'un qui connaisse bien l'histoire, les palos, quelqu'un de professionnel, pas forcément fort techniquement, mais qui sache bien le faire, ça c'est important.
En général moi je commence par une solea parce que c'est lent, et puis c'est la base, sinon les tangos aussi.

On t'entend jouer des palos très divers, celà va des mineras aux bulerias en passant par les soleas, les alegrias, les tangos... y-a-t-il un ou plusieurs palos que tu affectionnes particulièrement ?

Oui, il y en a un : La buleria évidemment. J'aime bien aussi les rythmes libres, les mineras, les tarantas.. En fait c'est plus par rapport au chant que les palos peuvent me plaire, la solea évidemment, la siguiriya aussi...en fait j'aime bien tout ! Et puis ça dépend de l'humeur aussi, desfois tu n'as pas envie de jouer toute une journée des soleas.

Peux-tu nous expliquer ce qui différencie, d'un point de vue guitaristique, l'accompagnement du chant, celui de la danse, et le solo ?

Il faut savoir tout faire : un guitariste doit savoir accompagner le chant, c'est le côté harmonique, et la danse, c'est le côté rythmique. Après si tu as des capacités, tu peux devenir soliste, mais tu ne peux pas jouer de solo sans connaître le chant et la danse, parce que sinon tu exprimes des choses qui ne veulent rien dire. L'accompagnement du chant et de la danse, c'est le passage obligé, si tu rates ça tu ne peux pas aller loin.

Lorsque tu accompagnes un passage de danse où il y également du chant, ce qu'on appelle la letra, tu dois être très à l'écoute et regarder en même temps les pieds des danseurs/euses pour suivre la mesure, comment gères-tu celà ?

Il faut avoir les yeux et les oreilles bien ouverts ! Il faut déjà maîtriser techniquement tout ce que tu dois faire d'un point de vue guitaristique, le rasgueo, le rythme, le compas...ça prend du temps, et ce n'est pas facile, même maintenant, c'est quelquechose qui demande beaucoup de concentration.

Tu te produis souvent avec les mêmes artistes (Isabel Pelaez, Cristo Cortés, Miguel Sanchez), comment est née cette complicité entre vous ?

Je les connais tous depuis 10-15 ans. Cristo par exemple je l'ai rencontré lors d'un spectacle avec BLANCA LI, avec un autre chanteur qui s'appelle Malou. Isabel, je l'ai rencontrée quand j'ai joué avec un groupe de flamenco au Théâtre de la Madeleine en 1998 dans LE CID, ça a duré plusieurs mois, elle était danseuse dans le spectacle, et je l'ai rencontrée à ce moment-là . Il y avait aussi Alberto (Ndlr : le cantaor ALBERTO GARCIA).

Avec Jaleo tu fais ce qu'on appelle du flamenco fusion : que t'apporte cette expérience ?

Ca ouvre l'esprit, j'ai été toujours assez ouvert, j'ai fait du classique au départ, j'ai connu des gens dans le jazz...Disons que ça m'apporte quelquechose quand c'est fait correctement, et puis avec Jaleo, même si c'est de la fusion, on fait des fandangos, bulerias, solea por buleria, alegrias...ça reste sur des rythmes flamencos. Il y a l'harmonie qui change et la façon de faire, donc je m'y retrouve quand-même, mais c'est un peu un autre chemin.

Ton dernier album, "A MI VERA" est sorti en 2004, en prépares-tu un nouveau ?

Oui, justement j'aurais dû déjà l'enregistrer en Mars, j'ai presque tout de prêt, mais toutes les conditions n'étaient pas réunies pour l'enregistrer. Normalement, je devrais l'enregistrer avant cet été, peut-être en mai ou juin. Il va y avoir une alegria en mi mineur, et puis le fandango sur lequel vous travaillez au stage, qui n'est pas encore finalisé (Ndlr : les élèves sont litteralement transportés par cette magnifique composition de Jean-Baptiste). Il y aura aussi des bulerias, siguiriyas. Cristo participera au cante, et peut-être aussi José (ndlr : les cousins Cortés de Marseille). Isabel va danser et sûrement faire un peu de pieds aussi, Miguel sera au cajon. Et tout le monde fera les palmas. Ca va être comme le précédent, un disque de guitare principalement, traditionnel.

L'hommage à PACO DE LUCIA auquel tu participeras le 25 mai à PLANETE ANDALUCIA est un des grands rendez-vous de l'année, peux-tu nous en parler, que prévois-tu d'autre pour 2007, y-aura-t-il un nouvelle représentation de "POR NUESTRO CAMINO" avec VALERIE ORTIZ ?

Ce spectacle s'est monté au départ autour de Flaco et moi (ndlr : le guitariste slovaque FLACO DE NERJA). Mais en fait je ne peux pas t'en dire plus sur l'hommage à Paco de Lucia car l'équipe est en train de changer. (Ndlr : Manuel Delgado remplace Fahem). En ce qui concerne "Por Nuestro Camino" je ne connais pas encore les prochaines dates. Mon principal projet est de sortir le disque pour la rentrée. Sinon j'ai quelques concerts prévus avec Jaleo.

Merci beaucoup Jean-Baptiste d'avoir répondu à cette entrevista, tiens-nous au courant de la sortie de ton album et bonne fin de stage avec La China !


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flamenco-culture.com - Murielle Timsit - Le 09/04/2007