Le piano flamenco de Diego Amador avait rendez-vous avec la guitare manouche de Biréli Lagrène ce Samedi 9 Octobre 2010 aux Folies Bergère à Paris. Deux musiciens exceptionnels ont offert au public un magnifique concert. Diego Amador foulait pour la deuxième fois une scène parisienne après un passage au Triton en 2008. Le théâtre des Folies Bergère n’était pas le lieu idéal ni le plus chaleureux pour cette apparition d’autant plus qu’une première partie très mal conçue a réussi à mettre hors de lui un public pourtant bienveillant.
Cette première partie commence par un vrai scandale : la projection sans fin d’un clip publicitaire sur l’Andalousie qui ne pouvait pas donner plus mauvaise impression de cette belle région. C’est sous les sifflets du public que les organisateurs ont dû interrompre la projection. Suivait le récit sur fond de percussion, par un talentueux et touchant conteur/chanteur ariégeois, des magnifiques textes du poète espagnol Felix Grande sur l'histoire des gitans, ceux chantés par El Lebrijano dans son album "Persecución" - le meilleur moment de la première partie - puis la chorégraphie interprétée sur le poème de Pablo Neruda "Tu risa" par la danseuse Julia Palombe sur une musique de Sergio Leonardi ; difficile exercice pour reconquérir un public en partance. Beaucoup de spectateurs étaient aussi venus voir les élèves de la danseuse la Farruca interpréter une chorégraphie de Soleá qu’elle leur avait enseignée. Après un duo de sévillanes flamencas exécuté par Elisa Vicente et Rémi Page, près d’une quarantaine de danseuses et un danseur, réunis par l’association La Gitanilla, ont dansé dans un espace réduit à l’extrême, ce même espace qui, il y a un an et demi, semblait déjà bien étriqué pour le "Romancero Gitano" du Ballet Flamenco de Andalucia de Cristina Hoyos. Pourtant certains spectateurs ont été touchés par ces jeunes artistes amateurs qui ont tout donné avec générosité. D'autres ont cependant trouvé déplacée la prestation qu'ils qualifient de "spectacle de fin d'année". La chorégraphie aurait sans doute mérité plus d'espace, mais celui-ci était réduit par l'imposante place occupée par le piano installé sur scène. Ou peut-être aurait-il fallu diminuer le nombre d'intervenants...
Le duo Diego Amador et Biréli Lagrène était l’âme de ce spectacle. Diego Amador "El Churri" est un artiste polyvalent, pianiste, chanteur percussionniste, bassiste et guitariste. Né en 1973 à Séville, Diego Amador appartient à une famille de musiciens qui a marqué le flamenco. Il est le petit frère de Raimundo et Rafael Amador, les fondateurs du célèbre groupe de flamenco-pop-rock Pata Negra, groupe dans lequel il se fera connaître comme percussionniste. C’est sans doute cette expérience qui vaudra au public au moment du rappel un solo de Diego sur les cordes d’un piano transformé l’espace d’un instant en métallophone. Au chant, sa voix rauque et profonde rappelle - avec plus d'intensité et d'authenticité - celle de Diego el Cigala et de toute cette génération de chanteurs influencée par Camaron de la Isla. Mais c’est au piano qu’il se révèle. Après une carrière dans la plus pure tradition flamenca, accompagnant les plus grands artistes de ce genre, il trouve une nouvelle reconnaissance à travers ses collaborations avec des artistes hispaniques ou américains : Tomatito, Larry Coryell, Louis Salinas, Jerry Gonzalez, Charlie Haden et pour ce concert Biréli Lagrène. Il ouvre les portes du flamenco à d’autres influences jazz et latine. Biréli Lagrène est un guitariste qui a acquis une notoriété sur les grandes scènes internationales. Né dans une famille manouche dans le Bas-Rhin, c’est bien sur à Django Reinhardt qu’il a été comparé. Il a aussi, à l’instar de Diego Amador, joué avec les plus grands, dans tous les styles. Il connaît bien le flamenco pour avoir tourné avec le guitariste Paco De Lucia.
Le piano de Diego navigue durant toute la soirée sur les palos du flamenco : Taranto, Tangos, Bulerias, Soleá por Bulería, Alegrías. Son toucher est très percussif, puissant, grandiloquent, rappelant les accords de guitare. Mais il sait aussi faire passer l’émotion. Du flamenco il s’évade souvent vers le jazz sans pour autant perdre l’âme du flamenco, sans pour autant perdre celle du jazz. Il introduit autant de références aux grands musiciens du flamenco comme Paco de Lucia qu’aux grands du jazz. De beaux duos avec Biréli Lagrène approfondissent l’atmosphère jazz. Pas de rasgueados, mais l’attaque « en butée » des cordes, caractéristique du style manouche, cadre très bien avec le style percussif de Diego Amador.
Une invitée de marque était attendue sur cette scène, la danseuse La Farruca, de cette grande dynastie gitane de danseurs et autres artistes Los Farrucos. C’est l’incarnation de cette famille qui entre sur la scène pour danser une Soleá. La Farruca c’est une présence qui remplit l’espace. Des phrasés courts, puissants, grandiloquents, qui interpellent le public ; le style gitan à l’état pur. Et pourtant elle en a mis du temps à arriver sur scène La Farruca, seulement après plusieurs letras interprétées por derecho par l'excellent Pedro El Granaino. Ne la voyant pas arriver, on a cru un instant qu'il y avait eu un accident en coulisses comme à Jerez. A la guitare officiait le talentueux gaditan Jesus Guerrero, artiste très sollicité qui a notamment accompagné Miguel Poveda dans ses récents récitals. La Farruca reviendra un peu plus tard pour un duo por Soleá por Bulería avec Diego Amador.
On peut regretter peut-être qu’un plus bel espace n’ait pas été offert à Biréli Lagrène, le piano suramplifié de Diego couvrant parfois le son de la guitare. Diego Amador a aussi offert à son fils au cajón de beaux solos pendant lesquels il a exprimé un incontestable talent. Un talent qui n’est plus à démontrer pour le fantastique batteur mexicain Israel Varela et le bassiste Julian Heredia qui rappelle, par ses phrasés, son compère Carles Benavent. Les dialogues entre musiciens sont sans conteste les plus beaux moments d’expression musicale de ce spectacle.
La soirée était longue, sans doute en raison d'une première partie à la durée excessive. Le public a applaudi chaleureusement Diego Amador. Le présentateur Miguel Nacho Montelyon a pensé mettre fin à la soirée mais les artistes sont finalement revenus sur scène, sous les applaudissements, pour interpréter une formidable Bulería pendant laquelle Diego a montré sa parfaite maîtrise rythmique et s’est livré à un solo déjanté sur les cordes du piano.
Dans le public on pouvait reconnaître Pilar Tavora, qui réalise actuellement un documentaire sur Diego Amador, ou encore le bailaor José Maya qui s'est installé récemment à Paris pour y dispenser des cours de baile organisés par l'association La Gitanilla. Diego Amador sera de nouveau en concert en France le 4 décembre à Colomiers. A noter que le producteur du spectacle Romero Diaz organise également le concert de Paco de Lucia qui aura lieu au Zénith le 16 novembre prochain.