Melchora Ortega et David Lagos

Entre Dos

Le cante est un art difficile s'il en est. Tout aficionado qui s'y est risqué le sait. Certains ont eu la chance de le boire à la source, ou tout près. C'est le cas de David Lagos et de Melchora Ortega, couple de cantaores de Jerez attachant, ayant chacun son propre style de cante ainsi que de l'art à revendre.
Le récital à l'Odéon qui clôt la soirée du 11 janvier à Nîmes restera sans doute l'un des sommets de la 24ème édition du Festival Flamenco de Nîmes. David Lagos y a consolidé son statut de cantaor de talent, et une partie du public qui ne la connaissait pas encore dans un pays où elle s'est peu produite, a découvert Melchora Ortega.

C'est depuis le public que David fait son entrée sur scène. Les deux cantaores se lancent dans une ronda de tonas en duo. La voix sourde de David complète celle cassée et attachante de Melchora, avec ce charmant petit zozotement qui caractérise les habitants de Jerez. Face à face ils se répondent avec force et engagement, et donnent tout de suite le ton de la soirée.

David Lagos prend la parole : "C'est un plaisir pour moi d'être pour la première fois à Nîmes venu pour défendre mon cante en solitaire. Vous savez tous que c'est un lieu important, non seulement pour les taureaux, car c'est une ville taurine unique, mais aussi une grande place pour le cante. Pour moi c'est une fierté d'être ici, et je remercie François qui est le directeur du Festival, d'avoir pensé à nous. Alors en ces jours où il fait si froid, Melchora et moi allons essayer de réchauffer la soirée et de nous en remettre à notre coeur plus qu'à notre gorge, pour vous tous".

Le tour de chant de David commence directement par des soleares de Triana. On peut dire qu'il n'a pas choisi la facilité car ce sont des cantes dont la ligne mélodique est particulièrement étendue, oscillant entre les graves et les aigus. Et de poursuivre por siguiriya pour alourdir encore sa tâche, ainsi que l'atmosphère du récital. David l'avoue, pour lui c'est le cante le plus difficile à chanter, mais il le fait por derecho. L'hommage au "Tio Chano" apporte un peu de légèreté au récital, David lui emprunte des gestes familiers, l'index en l'air, les mains qui racontent, jusque dans la diction... il lui avait d'ailleurs dédié les cantiñas "Sal de Cai" sur son album "El espejo en que me miro".

Melchora est aussi exubérante que David est réservé. A eux deux ils forment une "pareja" complémentaire et solide, à la ville comme à la scène. Quelle satisfaction pour Melchora de pouvoir chanter devant le public nîmois alors qu'elle a parfois du mal à trouver sa place à Jerez. Melchora est festera mais elle sait aussi se recueillir pour dispenser une siguiriya magistrale. David Lagos insiste d'ailleurs sur le fait que pour lui elle est actuellement la meilleur interprète de siguiriya. Melchora a besoin d'être à l'aise pour chanter. De fait, elle a ôté ses chaussures avant d'entrer sur scène car le contact avec le sol lui permet de mieux ressentir son chant. Elle a une présence et une énergie extraordinaires. Sa personnalité chaleureuse ressort sur scène, elle plaisante avec le public avec un naturel et une grâce infinis. Ses soleares de Jerez se posent en contrepoint à celles de Triana interprétées auparavant par son compagnon. Mais c'est véritablement sur la siguiriya qu'elle donne toute la mesure d'un cante pur, profond et sincère, qui ne trahit pas son héritage. Elle donne tout sur ce cante qu'elle affectionne particulièrement, et vient confirmer les propos de David à ce sujet.

Les deux cantaores étaient accompagnés par une guitare que l'on ne croise pas si souvent, celle de Juani de la Isla. Un jeu d'une grande finesse, qui sait aussi s'imposer lorsque nécessaire avec des rasgueos très appuyés comme par exemple sur les tangos qui saluent l'arrivée de Melchora, soutenus aussi par les palmas expérimentées de Manuel Cantarote et Diego Montoya. Le fils d'Aguilar de Vejer a été à bonne école et a apporté une touche très personnelle à l'accompagnement du cante, notamment sur les soleares.

C'est une immense satisfaction de voir ces artistes que l'on suit depuis des années obtenir le succès qu'ils méritent. On en redemande.

A noter que David Lagos présentera son nouvel album "Mi retoque al cante jerezano" le vendredi 28 février prochain à la Sala Compañia dans le cadre du Festival de Jerez. Melchora Ortega quant à elle chantera dans le spectacle "Fatum" de Javier Latorre en ouverture du Festival de Jerez le 21 février, et elle prépare également un nouvel album.


Flamenco Culture, le 11/01/2014

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