La prolifique Juliette Deschamps a plus d'une corde à son arc. Ce n'est pas la première fois que l'artiste, en résidence depuis début le mois de janvier à l'Opéra de Montpellier, se confronte au flamenco. Et c'est donc dans ce cadre inhabituel que Juliette Deschamps a amené le spectacle "A Dios, Flamenco y Saetas". Un pari osé puisqu'il s'agissait uniquement de cante. Un véritable cadeau aussi pour les aficionados au cante qui ont su apprécier à sa juste valeur cette création originale et de qualité. Les spectateurs présents dans la salle de l'Opéra Comédie ce soir-là à Montpellier ont vécu un moment rare et unique, irrepetible comme diraient les andalous. En effet, il s'agissait non seulement de la première, mais il n'y avait qu'une seule représentation.
Pour qui n'est jamais allé à Utrera ni assisté à la Semana Santa, le dépaysement est total. Juliette Deschamps offre au spectateur une ballade à travers les rues étroites du village au moyen de séquences filmées projetées de façon totalement improvisée en fonction de la musique interprétée par les artistes. Ces images en noir en blanc, d'enfants habillés en pénitents, de pasos, de ruelles d'Utrera, tournées à peine quelques jours avant le spectacle, ont une force particulière de par leur luminosité et l'angle choisi, tantôt du haut d'un balcon prêté par un habitant, tantôt à hauteur d'enfant. Cela contribue à donner une atmosphère onirique et solennelle au spectacle. Ces images, Juliette Deschamps les a tournées avec les appareils photo GH4 de Lumix et D-LUX 6 de Leica. Après le montage, il a fallu ensuite trouver un logiciel pour pouvoir lancer les séquences vidéo en direct depuis la régie, et le régisseur a déniché la perle rare permettant de lancer les images durant les cantes.
Les saetas, on les retrouve dans les falsetas de la splendide solea qu'Antonio Moya interprète en duo avec le saxophoniste Nacho Gil.
Et puis il y a ce cadeau qu'Antonio a apporté depuis Utrera aux aficionados au cante, Enrique El Extremeño. Le chanteur de Zafra qui est le cantaor attitré de la grande bailaora Manuela Carrasco depuis plus de trente ans, partage habituellement la scène avec d'autres cantaores et chante tout au plus deux ou trois letras durant un baile, comme on a pu le voir récemment au Festival de Jerez. Il est donc rare de pouvoir l'écouter en solo, comme dans ce spectacle où il offre de fabuleuses interventions, avec des cantes interprétés por derecho. La malagueña, sublime, est portée par la guitare d'Antonio Moya qui sait se faire discret pour mieux mettre en valeur le cante d'Enrique. Ses alegrias au compas infaillible sont remarquables. Le taranto, dont l'introduction à la guitare est superbe, est à la hauteur de ce que nous avait décrit Antonio dans son interview. Le cante est juste et profond, et rematé de façon originale par des cantes abandolaos. Et c'est pas fini... Il y aura aussi des Tonas avec là encore des letras en rapport avec la religion, et des bulerias lors du rappel, ainsi qu'une formidable version de "Corazon Loco" lors du bis.
Mari Peña n'est pas en reste. La cantaora dont les références sont les cantaoras d'Utrera et La Niña de Los Peines a baigné dans la tradition et ses saetas et romance sont d'une justesse et d'une authenticité remarquables. Une véritable immersion dans les chants sacrés tandis qu'en fond de scène apparaissent des images d'enfants habillés en pénitents. Mari se distingue aussi por siguiriya, et lors de sa version de l'Ave Maria de Schubert qu'elle fait tourner en buleria de façon très naturelle. Lors du rappel, elle va même arracher des larmes à une bonne partie du public avec son interprétation déchirante de la "Cancion de las simples cosas" de Mercedes Sosa, ainsi qu'un autre thème de Chavela Vargas. Olé Mari.
La particularité du spectacle est aussi l'introduction de pièces classiques dans la musique flamenca. Il faut saluer le travail d'Antonio Moya et de Nacho Gil qui ont parfaitement su intégrer ces pinceladas de musique classique de Mozart, Bach - entre autres - dans les patrons flamencos.
En résumé un spectacle accessible à tout public qui ne manquera toutefois pas de combler les aficionados les plus avertis. A voir absolument.
Remerciements à Valérie Chevalier, Directrice Générale de l'Orchestre, Hélène Arcidet et Florence Riou, attachées de presse de l'Opéra de Montpellier.