Estevez et Paños

Bailables

Ce n'est pas la première fois qu'Estevez et Paños foulent les planches du Teatro Villamarta durant le Festival de Jerez. On se souvient encore de leur mémorable "Flamenco XXI: ópera, café y puro" présenté sur cette même scène en 2008, ou encore de leur époustouflant "La consagracion", inspirée du Sacre du Printemps. Alors que sur le papier, "Bailables", pouvait laisser augurer un spectacle plus traditionnel et connecté au cante, le chemin emprunté par les chorégraphes dans cette création s'est avéré beaucoup plus expérimental.

© Javier Fergo / Festival de Jerez

Le point de départ du spectacle qui lui a également donné son titre est une phrase issue d'un ouvrage d'Antonio Machado et Demofilo qui en 1881 affirmaient : "la tona et la liviana sont des cantes pour être écoutés et ne sont pas dansables." Estevez et Paños ont souhaité aller à l'encontre d'un tel présupposé, et montrer dans "Bailables" qu'absolument tout est dansable. Et avec une équipe d'un tel niveau technique, notamment quatre magnifiques danseuses que les chorégraphes ont recrutées parmi leurs élèves, il n'y a pas de limites. Tout est "bailable", et dans cette "fantaisie chorégraphique" imaginée par Estevez et Paños, cela va bien au dela des différents palos du flamenco qu'en leur temps Vicente Escudero, Carmen Amaya ou Antonio El Bailarin avaient adapté au baile. Estevez et Paños et leur troupe dansent les percussions, les saetas recouvertes d'une bâche transparente, les martinetes, les carceleras menottées, et ressortent aussi grâce au concours de Faustino Nuñez des pièces uniques telle une solea Apola du XIXème siècle.

Et puis il y a cet hommage à la danse sévillane, véritable fil rouge de la soirée, que les danseurs vont décliner à l'infini, en offrant une merveilleuse interprétation, sans doute les plus belles sévillanes qu'il nous ai été donné de voir au Festival de Jerez. Le lien entre séguédille et sévillane y est clairement exprimé, et les chorégraphies rendent aussi hommage à Josefa Mora Picon et au maestro Juanjo Linares, emblème de la danse folklorique espagnole disparu en 2009. La 4ème puis la 3ème sévillane sont exécutées à la manière de la Escuela Bolera, et le tout se termine par un joyeux mélange de chant et danse.

Il faut souligner, voire même surligner le rôle formidable tenu par "El Mati" dans la création. Il mérite bien un paragraphe à lui tout seul car durant l'heure et demie de "bailables", le cantaor donne tout : cante, guitare, percussions, piano, c'est le seul musicien du plateau et ce qu'il fait est une performance indéniable, d'autant que la qualité du cante et de la musique est aussi au rendez-vous. On avait déjà repéré ce talentueux cantaor catalan lors de ses passages en France, ou encore l'an dernier avec la Moneta au Festival de Jerez, et ce qu'il réalise dans bailables le place encore un cran au dessus. Très impressionnant. Olé Mati.

Ce spectacle qui marquait le grand retour de Rafael Estevez - dont la rondeur du braceo est toujours un pur régal - après des problèmes de santé qui l'ont éloigné de la scène durant plus d'un an, est d'après ses auteurs le plus "extrème", et celui au concept le plus actuel qu'ils aient créé.


Flamenco Culture, le 03/03/2016

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EQUIPE ARTISTIQUE:: Idée originale, direction et chorégraphie - Rafael Estévez /Valeriano Paños
:: Baile - Rafael Estévez / Valeriano Paños / Nadia GonzálezSara Jiménez / Macarena López / Carmen Muñoz
:: Cante et musique - Matías López “El Mati”
:: Collaboration historico-musicale - Faustino Núñez
:: Collaboration chorégraphique - Antonio Ruz

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