Un après-midi à Paris avec Carmen Ledesma

"Nadie esta en la posicion de la verdad. Cada uno tiene su verdad y tiene que luchar para lo que cree. Cada uno cree en su verdad."

Carmen Ledesma donnait un stage de baile flamenco du 16 au 20 septembre 2013. Organisé par Lori la Armenia à Flamenco en France, où c'est la première fois qu'elle venait, elle dit avoir beaucoup aimé le lieu et son acoustique. Elle était ravie de ce retour à Paris où elle avait donné un stage cinq ans auparavant. Nous avions pu la voir à la Villette en mai dernier, aux côtés d'Antonio Moya, Mari Peña, Juan Jose Amador et le génial José Losada, el Carrete de Malaga. Pour les élèves et danseuses qui ont suivi son enseignement, ce furent 5 jours de retour aux sources du flamenco.

A cette occasion, nous avons retrouvé Carmen et Lori par une après-midi oscillant entre soleil et averses importunes, devant l'Opéra Garnier, où elle était venue avec son cher Clan des Pinini. Le Cirque d'Hiver, où elle était venue avec Camaron en 1987, ce sera pour une autre fois ! La pluie nous a surpris sur le chemin de ses souvenirs, et nous nous sommes réfugiées dans un café de Bastille. Tout en agitant son éventail, la bailaora nous a parlé de sa carrière et de mille choses qui la touchent en ce bas monde. Comblée artistiquement par son parcours et ses compagnons de scène, elle souhaite se dédier davantage à l'enseignement et transmettre toute cette culture qu'elle porte. Elle évoque l'élégance et la bonté des siens, sa famille gitane, l'intense activité artistique passée de Séville et Triana, les types de voix qu'elle affectionne, la relation qu'elle entretient avec ses élèves, qui l'appellent Tita, le baile flamenco aujourd'hui et son inclinaison pour Edith Piaf et l'ambiance des petits cafés parisiens, dont elle a une image romantique d'ambiance bohème et artistique.

Carmen Ledesma est héritière d'un baile "puro", très gitan et sans artifices, auquel elle apporte son sello. Elle sacralise son Art parfois juste avec un mouvement des bras unique, et qui porte l'empreinte de sa terre de Lebrija à Utrera. Dotée d'un grand poderillo à la scène, elle a également acquis une solide réputation de pédagogue à travers le monde, grâce à une personnalité chaleureuse et bienveillante. En un mot, son art est recherché pour ses propriétés ancestrales et sa personne, pour sa présence éminemment andalouse...et flamenca.

Elle a remarqué que dans tous les festivals internationaux où elle s'est rendue, elle n'a jamais vu une musique aussi prompte à se mélanger à d'autres que le flamenco. Elle n'a pas vu ce phénomène de fusion chez d'autres groupes de musiques traditionnelles. Elle le dit comme un reproche, un doute et avoue être quelque peu confondue par les esthétiques modernes, tout en reconnaissant le travail des jeunes générations et leur évolution. C'est pour cela sans doute qu'elle tient à transmettre les essences de sa terre et bien faire le distingo entre une tradition et les recherches contemporaines.

A propos du cante, elle dit se sentir à l'aise avec certaines voix en particulier :

"-Si je danse por siguirya, j'ai besoin de force, pour sortir la rage et le pellisco. Actuellement, je travaille avec Mari Peña, qui a un ton plus fin, mais j'aime sa façon de chanter, ses choses à elle. Son chant qui s'apparente à celui de Gaspar de Utrera, de Fernanda et de Bernarda, me parle et me plait, surtout pour danser la solea, les tientos ou le romance, qu'elle me chante très bien. J'aime aussi le métal des voix de Curro Fernandez ou Juan José Amador quand je danse. Il y a des jeunes qui ont des altos magnifiques. Pour moi, certains tons actuels sont trop hauts, pour la siguirya par exemple. J'apprécie beaucoup la voix d'Ines Bacan; ses tons bas me transpercent, me transportent l'âme. Le jeune José Mendez m'enchante, c'est un phénomène ! Il a des tons...! C'est tout sa tante, la Paquera. Il y a Manuel Tañé, Rubio de Pruna, qui me bouleversent. Et il y a Guadiana ! Ah comme il me plaît Guadiana !"

A "Los niños de Marsella"

"-Cette année au Festival de Nîmes, j'ai dansé une solea por romance, accompagnée par des chanteurs de Marseille : el Cristo, José de la Negreta...Je ne voudrais oublier personne et les citer tous ! - Ndlr : Paco Santiago était le 3ème cantaor -Ils ont un métal de voix très flamenco, ils aiment profondément le flamenco, et si je devais travailler avec des cantaors d'ici, j'aimerai que ce soit avec eux car ils savent apprécier ma façon de danser. Avec eux, je me sens bien, en confiance. Ils connaissent mon baile. Il suffit d'un regard, et les letras s'enchaînent. Va ! Demande, comment c'était à Nîmes, et tu verras ! Ce sont des phénomènes !"

Sur sa carrière, Carmen a une vision épanouie, n'éprouve aucune sorte de regret car elle dit avoir partagé des grands moments de complicité artistique.

"-Le flamenco provient de la culture. Tout vient de là, je crois. C'est peut-être parce que j'ai vécu dans les maisons à Utrera, à Lebrija, où j'ai appris et vécu tout cela avec les gens. A Jerez aussi. Entre 15 et 16 ans, je n'ai fait que du tablao. Quand j'avais 16/17ans, le centre du flamenco était à Séville, où il y avait beaucoup de danse. Tout le monde allait là-bas (...).Puis lorsque j'ai acquis de la force, je suis allée dans les théâtres, et enfin j'ai travaillé pour avoir un Prix qui donnerait du poids à ma carrière. Il a fallu beaucoup lutter pour cela. Aujourd'hui, les filles peuvent se faire payer les études par leurs parents mais à mon époque les familles étaient plus pauvres. Si tu voulais quelque chose, il fallait te battre pour l'avoir.(...) J'ai beaucoup appris sur scène et eu la chance de travailler avec les meilleurs. Ils m'ont donné une discipline de la scène, une forme de sentir et de m'exprimer. C'est ma richesse, et ce que j'ai appris du flamenco."

La relation avec ses élèves et le surnom Tita

"-Il faudrait faire un sondage auprès des élèves à chaque stage. A la fondation Cristina Heeren, on donnait des questionnaires pour connaître la satisfaction des étudiants à propos de l'enseignement et de leurs professeurs. C'était très intéressant car j'y ai enseigné 11 ans, et grâce à cela, j'ai beaucoup appris et progressé. J'ai eu de bonnes critiques de mes élèves, ce qui pour moi était essentiel et me donnait la force pour continuer à me battre. J'adore enseigner, je suis très heureuse ! J'apprends tous les jours de mes élèves, ce qu'ils aiment et ce qu'ils apprécient de ma culture. Au Japon, les gens sont merveilleux pour ça. Mais aussi en Chine, en Corée, où les gens sont acquis à un certain sens de la discipline. Ils sont intéressés par des cantaors anciens, ils étudient tout. Ils ne connaissent pas seulement les cantaores jeunes de leur époque (On en profite pour lui demander des nouvelles de Miguel El Funi, dont la carrière s'est nettement déplacée vers le Japon, où il rencontre une aficion profonde). Ils n'apprennent pas seulement tout ce qui a attrait à l'arte flamenco mais aussi toute une culture. Ils comprennent d'où tu viens, l'essence du flamenco. C'est très important s'ils veulent le transmettre à leur tour."

"-Pourquoi crois-tu qu'on m'appelle la "Tita", demande-t-elle d'un air entendu et espiègle? Ce n'est pas un vain mot ! Mes élèves me considèrent comme quelqu'un de leur famille, comme une mère. La parole Tita vient de ce que je leur fait sentir qu'ils ont une famille en Espagne. C'est difficile d'être seul sans sa famille à l'étranger. Et s'il faut leur faire un puchero pour qu'ils mangent chaud, je le fais, afin qu'ils ne se sentent pas seuls !". (Elle rit, et on imagine le réconfortant fumet du dit puchero, assurément généreux).

"-Je voudrais remercier Lori la Armenia pour tout ce qu'elle fait pour le flamenco et pas seulement pour moi (...). Ce qui me plaît chez elle, c'est sa constance, sa ténacité. Elle fait partie de cette jeunesse qui lutte pour que le flamenco soit à sa place et que les gens d'ici connaissent la vérité, en ayant des professeurs de qualité, qui ne trompent personne, qui montrent comment est le flamenco pour de vrai et qui ne se contentent pas de venir prendre de l'argent ! Il faut dire les choses et je crois que je suis en âge de pouvoir dire ce genre de choses !"

Dans son enseignement, Carmen Ledesma cherche à transmettre l'essence et donne beaucoup d'importance à l'écoute, au compas et à l'attitude, ce pourquoi Lori la Armenia a souhaité s'investir dans l'organisation de ce stage à Paris : "Ce que tu apprends avec la Tita, ce sont les bases. Tu vas prendre un super cours avec une super danseuse, qui va t'apprendre une super chorégraphie. Et tu sors de là en ayant l'impression d'avoir appris beaucoup...Mais avec la Tita, tu apprends des choses essentielles. Comme l'ail et les condiments, qui sont des bases dans nos cuisines, elle t'apprend ces petites choses qui vont te servir toute la vie."

Très satisfaites de ce stage, les participantes ont notamment exprimé le souhait de revoir Carmen Ledesma de manière plus régulière à Paris.

Entretien réalisé le 18/09/2013 à Paris.
Remerciements la bailaora Lori la Armenia et Flamenco en France


Nathalie Garcia Ramos, le 24/09/2013


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