« Concierto » de Santiago Lara et « Bipolar » de Belen Maya

Un martes rompiendo moldes

Casser les schémas, se démarquer vis à vis de ses prédécesseurs, il semble que ce soit le point commun entre la grenadine et le jerezano, cependant ils y arrivent avec plus ou moins de bonheur.

Belen Maya

© Sébastien Zambon / Festival Arte Flamenco

Il est indéniable que Santiago Lara est un excellent guitariste, son curriculum à lui seul le démontre. Après avoir eu la confiance du maestro Sanlucar, ses années d'accompagnateur auprès de son épouse Mercedes Ruiz lui ont permis de s'aguerrir au dur métier de tocaor pa'tras et ont sûrement attisé l'envie de donner la pleine mesure de son inspiration sans la contrainte de la struture du baile.

C'est bien là que le bât blesse. L’exercice du concert peut s'avérer lassant pour le public lorsqu'on assiste à un déluge de virtuosité,de recherche des limites tant harmoniques que rythmiques qui finissent par ne laisser qu'un goût de catalogue. La structure de ses morceaux est identique, que ce soit une farruca, une alegría, une granaína, une seguiriya, des fandangos ou les nombreuses bulerías. Il commence par vagues successives d'abord informelles et calmes, toujours dans les basses qui amènent progressivement à découvrir le palo, puis explore toutes les pistes en crescendo et finit parfois sur un retour serein du côté du bourdon.

Cependant son alegría dédiée à sa femme et à sa fille Pastora est un bijou de délicatesse, précieuse comme les dentelles des jeunes filles en fleurs, ses falsetas se déroulent sur un rythme proustien, tournant autour du thème, effleurant la mélodie originale en longues volutes scandées. Après le chant de Londro l'aire de Cadiz reprendra ses droits. Malgré cela, Santiago Lara fait partie de ces guitaristes qui semblent enfermés dans leur bulle, triturant leurs sons jusqu'à leur propre extase, seuls au monde avec leur guitare. Parmi les spectateurs les tocaors ont adoré ses « plans géniaux » les autres ont globalement apprécié mais demandent plus de respiration et de variété, sans doute ces (petits) défauts de structure s'estomperont-ils avec le temps.


Le propos de Belen Maya clairement annoncé dans le titre « Bipolar » a immédiatement sauté aux yeux du public. Si jusqu'à présent la bailaora conjuguait inlassablement la tradition et la modernité émaillant ses danses de toutes les influences que sa curiosité artistique a distillé dans sa personnalité, elle proclame à présent sa double appartenance et présente le même style en deux temps bien distincts, Misses Belen commence la danse en costume moderne et Docteur Maya la reprend en tenue traditionnelle. On obtient ainsi une guajira en chemise de nuit, pieds nus, avec petite menée et bras en couronne, dans le plus pur style petit rat, sur bande son et métallophone suivie d'une leçon de bata de cola et de pericón comme la-bas et comme avant, entrecoupée de l'intervention d'un danseur autant bailaor que bailarin terminant ses taconeos impeccables par une grande fente à genoux digne des variations de Noureev dont la production n'a pas jugé nécessaire de donner le nom. C'est donc une Belen Maya dans tous ses états, au sourire mutin por guajira, épanouie por alegría, jouant de son costume vieillot avec sensualité por tangos, se donnant à fond dans les bulerias. Et c'est par une projection vidéo d'ébauche de portraits en superposition fugitivement reconnaissables accompagnée des voix mêlées des chanteurs anciens qu'elle rend hommage à ses maîtres avec tellement de subtilité et de force que l'émotion surgit en quelques secondes. Tarantos, seguiriyas, soleá la voix prodigieuse d'Ezequiel Benitez et la guitare de Juan Diego Mateos ramènent constamment le propos vers el Arte et les sons du dj Miguel Marín tirent vers le contemporain. Le public en sort écartelé et dans l'ensemble heureux, même si certains ont encore du mal avec les braceos robotiques et les variations autour d'une chaise. Droite dans ses bottes Belen Maya continue son chemin d'ouverture et d'exploration, avide de nouveautés et bien ancrée dans son héritage. Une véritable artiste en somme.


Dolorès Triviño, le 05/07/2016

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